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Business Case ou Business Plan ? L'interview de Raphaël Cohen

Article de Cédric Labeau Dans mon billet Vers la fin du business plan ?,  je faisais référence aux travaux de Raphaël Cohen contenus dans son livre "Concevoir et lancer un projet". C’est avec gentillesse que Raphael a bien voulu répondre sous forme d’interview aux questions concernant le modèle IpOp et la création de l’Opportunity Case (également appelé Business Case).

Bonjour Raphaël. Je tiens à vous remercier sincèrement de prendre le temps de répondre à mes questions. Avant de commencer à rentrer dans le vif du sujet, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Business Angel France ? Je suis un serial-entrepreneur qui est devenu, par un concours de circonstances, Business Angel alors que ce terme n’existait pas encore, et ce depuis plus de 25 ans. En plus de mes propres entreprises, j’ai été amené à investir dans des sociétés, à en acheter, à en revendre, à en restructurer mais également à en fermer. Il y a une dizaine d’années on m’a demandé de créer le 1er cours d’entrepreneuriat de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, l’équivalent du MIT en Suisse, consistant à enseigner la manière de créer une startup à des scientifiques, des ingénieurs, des médecins etc. Ceci m’a amené ensuite à prendre la direction de la spécialisation Entrepreneurship du MBA de HEC de Genève dont je m’occupe toujours. J’ai réellement pris goût à l’enseignement puisqu’avant de mettre sur pied ce cours à l’EPFL, je n’avais jamais enseigné. Je continue donc à être entrepreneur et à avoir un pied dans le monde académique tout en dispensant de nombreuses formations exécutives dans de grandes entreprises pour stimuler les comportements entrepreneuriaux et promouvoir l’innovation interne.   Dans votre livre « Concevoir et lancer un projet », vous décrivez le modèle IpOp qui signifie « Innovation par les Opportunités ». Comment en êtes-vous arrivé à son élaboration et qu’est-il au juste ? J’ai rencontré une personne chez Oracle, il y a une dizaine d’années, qui m’a demandé : « Vous êtes entrepreneur, vous enseignez l’entrepreneuriat, que pouvez-vous faire pour que mes collaborateurs se comportent de manière plus entrepreneuriale ? » Après y avoir réfléchi, je suis arrivé à un constat très simple. De nombreuses personnes dans les entreprises ont des idées mais celles-ci sont rarement mises en œuvre. Ainsi, au lieu de se focaliser sur la problématique de la créativité ou de l’identification des idées, il m’a semblé que la solution la plus adéquate était de se focaliser sur le passage d’une idée à sa concrétisation. J’ai modélisé et créé le modèle IpOp en observant de nombreuses startups, en réfléchissant aux questions me venant à l’esprit en tant qu’investisseur face à un projet et à celles que je ne me suis pas posées et qui m’ont amené à échouer. 3 mois après avoir enseigné et mis en application le modèle IpOp chez Oracle, nous avons donc demandé aux participants quels étaient ceux qui ont lancé un projet innovant qu’ils n’auraient pas commencé s’ils n’avaient pas suivi cette formation. La réponse a été de 56% ! Nous avons donc déployé tout ceci à une échelle beaucoup plus importante. L’enseignement que j’en ai retiré et qui m’a été confirmé à de multiples reprises est le suivant : beaucoup de personnes ayant une idée manquent souvent de confiance en elles. Cet obstacle peut être surmonté à partir du moment où on leur donne un mode d’emploi facile à suivre et à comprendre, pour autant que le concept soit bien intériorisé. Cela suffit à leur donner la confiance nécessaire pour leur donner envie d’aller de l’avant. Depuis, le modèle IpOp est utilisé par de nombreuses sociétés telles que Nestlé, Sanofi-Aventis, Microsoft, Deutsche Telekom, Orange pour faciliter l’innovation interne… Il amène les personnes à avoir le courage de présenter un projet innovant et clairement défini à leurs supérieurs. Bien évidemment, le modèle IpOp est souvent aussi utilisé avec succès par les startups.   Vous préconisez de rédiger un Dossier d’opportunité (également appelé Opportunity Case ou Business Case) qui est la forme « présentable » du modèle IpOp. Quelle est la  différence entre le Business Plan et l’Opportunity Case ? Le Business Plan répond à plusieurs questions : la question du « Quoi », du « Pourquoi il faut le faire », du « Qui va le faire » et donne l’idée du « Combien ». Mais le BP répond également à une autre question qui est le « Comment ». La réalité est que l’on ne s’intéresse jamais au « Comment » avant d’être convaincu par le « Quoi » et le « Pourquoi ». Je préfère donc procéder en 2 temps. D’abord en ayant un document qui est le Dossier d’opportunité (Opportunity Case) et qui répond à ma question du « Quoi », du « Pourquoi », du « Qui » et qui donne une idée du « Combien » avant d’entrer dans le « Comment ». Ceci me permet donc de savoir si, oui ou non, le projet présente un intérêt. Lorsque la réponse est « Oui », je me demande alors à ce moment « comment » nous allons procéder. Mais le mélange des deux sur un même document comme le BP est fatiguant. Il faut constamment filtrer et écarter les composantes du « Comment » afin d’essayer d’identifier le « Quoi », le « Pourquoi ». Traiter le « Comment » dans un document séparé, le Plan de mise en œuvre, permet d’éviter ce mélange des genres.   Comment élaborer un Dossier d’opportunité efficace ? Personnellement, je trouve que les présentations PowerPoint forcent à aller à l’essentiel. Je recommande surtout pour le Dossier d’opportunité de se poser les questions des décideurs, en commençant par préciser « Quel est le besoin ? ». C’est ce que j’appelle le DBS en français (Désir- Besoin-Souffrance) ou en anglais PND (Pain-Need-Desire). Un décideur ne s’intéressera jamais à un projet pour lequel il n’est pas convaincu de l’existence d’un désir, d’un besoin ou d’une souffrance à soulager. Le Dossier d’opportunité est construit en fonction de l’arbre de décision supposé du décideur. Mon livre en décrit une modélisation. Dans le Dossier d’opportunité quelques questions complémentaires viennent préciser certains points. J’ai donc mis un modèle de Dossier d’opportunité dans le livre pour donner une idée de ce à quoi il peut ressembler, sans que ce soit un modèle absolument impératif. Il convient évidement de l’adapter à chaque projet et à chaque situation.   Quels outils peuvent m’aider à élaborer mon Dossier d’opportunité ? Le modèle IpOp est l’outil permettant de réfléchir avant de rédiger le Dossier d’opportunité. Ensuite la rédaction va très vite. Le modèle IpOp peut également permettre de réfléchir avant de rédiger un BP, pour les masochistes désirant écrire un document de 50 à 60 pages alors qu’ils pourraient se contenter d’un Dossier d’opportunité d’une dizaine de pages…   Les investisseurs demandent souvent un Business Plan. Comment puis-je inclure le modèle IpOp dans celui-ci ? Vous pourriez construire le Business Plan autours du modèle IpOp en ajoutant une rubrique à la fin de chaque chapitre qui précise les éléments du « Comment » de chaque étape. Ou simplement en ajoutant le Plan de mise en œuvre après le Dossier d’opportunité. On peut donc construire le BP en mettant en avant le « Quoi », le « Pourquoi », le « Qui » avant d’expliciter le « Comment ». L’ennui de combiner les deux lorsque l’on présente un Business Plan à un Business Angel ou à un partenaire est de ne pas prendre en compte ses ressources, ses réseaux ou ses autres possibilités permettant de soutenir le projet. En pré-rédigeant le Plan de mise en œuvre, comme c’est le cas dans un business plan, on ne peut évidemment pas intégrer ce type de paramètre. En procédant en deux temps, vous pourrez ainsi présenter le dossier d’opportunité à un décideur qui, une fois intéressé, vous demandera d’expliquer comment vous allez procéder. A ce moment là vous pourrez élaborer un plan de mise en œuvre tenant compte de sa réalité et ainsi exploiter les synergies. Par exemple, s’il a déjà une force de vente, vous n’aurez pas besoin d’inclure la création d’une force de vente pour votre projet. Ainsi, le plan de mise en œuvre présenté sera beaucoup plus pertinent pour le lecteur qu’un plan de mise en œuvre inclus dans un Business Plan de manière générique sans savoir qui sera le partenaire.   Comment peut-on commander votre livre « Concevoir et lancer un projet » ? Le plus simple est de visiter le site http://www.winning-opportunities.org. Vous y trouverez le lien pour commander mon livre « Concevoir et lancer un projet » ainsi que d’autres articles. Pour ceux qui sont bilingues, je leur conseille plutôt de télécharger gratuitement la dernière version qui est en anglais. Vous déciderez, après sa lecture, la valeur que vous attribuez au livre. J’estime que c’est une manière honnête de fixer le prix puisque chaque lecteur paie en fonction de sa perception de l’utilité du livre. Ce n’est pas un prix qui est imposé par l’éditeur mais fixé par le lecteur selon son opinion et ses moyens. Je fais confiance à chaque lecteur pour fixer son juste prix. Le prix peut d’ailleurs être compris entre 0€, si le lecteur estime que le livre était complètement inutile ou qu’il n’a pas les moyens de payer plus, et au maximum 5 000 000€, le jour où son contenu l’aura aidé à faire fortune. Un autre intérêt de ce business modèle innovant pour la publication d’un livre est que son contenu devient accessible à tout le monde, pays en voie de développement compris. Mon objectif est de permettre tous ceux qui le souhaitent, indépendamment de leur pouvoir d’achat, de donner un coup de fouet à leur carrière. Merci Raphaël et Cédric pour cette interview.

3 Réponses à Business Case ou Business Plan ? L'interview de Raphaël Cohen

  1. Jean-Yves SARRAT 13 octobre 2011 at 2:32 #

    Merci pour cet entretien très intéressant. Ayant moi-même beaucoup travaillé sur les questions méthodologiques concernant la conduite des projets, et l'innovation, il y a bien longtemps que j'insiste sur la nécessité de bien définir le "Quoi" et le "Pourquoi" avant de s'attaquer au "Comment". J'ai trop souvent vu échouer des projets, par le fait même que leurs protagonistes s'étaient fortement investis sur le "Comment", alors même que le "Quoi" et le "Pourquoi" restaient dans un floue artistique ! Je ne peux par conséquent que me sentir en accord avec les points de vue développés dans cet interview (au moins dans les grandes lignes). Il serait bien sur intéressant de pousser la réflexion plus loin, mais ce n'est évidemment pas ici le lieu.
    Cordialement.

  2. Cédric Labeau 13 octobre 2011 at 9:24 #

    C'est justement tous ces points qui sont abordés dans le livre de Raphaël. Je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites que de nombreux projets échouent lorsqu'ils sont bâtis autour du "Comment".
    Personnellement, je trouve même cela dangereux pour un investisseur. Je me rappelle d'un projet dans lequel j'avais investi. Au départ je n'étais pas convaincu par le "Quoi" et le "Pourquoi". A la force d'étudier le "Comment", je me suis laissé "séduire" par l’exécution du projet.C'est revenu à construire un château de carte...
    Maintenant dès que le "Quoi" et le "Pourquoi" ne me semble pas solide, je préfère m'abstenir.

  3. The Business Plan Shop 13 avril 2015 at 0:16 #

    Effectivement le quoi et le pourquoi sont clés, surtout lorsqu'on investi dans des startups pour lesquelles le comment peut changer très rapidement suite à un pivot

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